FAZIL SAY ARTICLE DANS
Fazil Say, archange de Mozart
Le pianiste turc a ouvert le Festival de Menton, qui s’achève le 13 août
menton (alpes-maritimes) envoyée spéciale
Il fut un temps où le Festival de musique de Menton (AlpesMaritimes), dont la 68e édition a débuté le 29 juillet, accueillait sur la French Riviera le gotha de la musique classique. L’écrivain et poète Jean Cocteau, qui en dessina l’affiche en 1960, écrivait : « Il n’existe nulle part ailleurs lieu plus dépaysé, plus insolite, plus suspendu dans le vide, que ce festival de Menton. » Un succès que l’on doit au Hongrois André Borocz, dont on raconte que c’est en entendant, dans la vieille ville, par une fenêtre ouverte, la Partita n° 2 pour violon de Bach interprétée par Jascha Heifetz, qu’il eut l’idée d’y fonder un festival en 1950. Sa mort en 1998 devait annoncer une période moins florissante : en treize ans, pas moins de huit directeurs artistiques se sont succédé, dont le propriétaire de la Salle Gaveau à Paris, Jean-Marie Fournier, le violoniste Augustin Dumay, le pianiste JeanBernard Pommier… Quasi exclusivement recentré sur la musique de chambre, Menton perdait peu à peu de sa superbe. Une gamme descendante interrompue en 2013 avec la nomination du chef d’orchestre et directeur du Conservatoire de Menton, Paul-Emmanuel Thomas, directeur musical depuis 2010 de l’Orchestra Classica Italiana de Turin.
En témoigne cette saison, qui convie violonistes de renom (Renaud Capuçon, Christian Tetzlaff), jeunes espoirs (la jeune Alexandra Conunova) et une pléiade de pianistes d’exception : Christian Zacharias, Lars Vogt, Nelson Freire et Kit Armstrong, sans oublier Fazil Say, parrain du festival 2017, à qui était dévolu le concert d’ouverture sur le parvis de la basilique SaintMichel-Archange.
« Route de la soie » musicale Le pianiste turc, pour avoir fait partie des découvertes d’André Borocz, est un habitué de Menton où il joue régulièrement depuis 1997. Au programme, l’une de ses compositions : le concerto pour piano Silk Road, kaléidoscope d’atmosphères cheminant entre le nordouest de la Chine et l’extrémité orientale de l’Europe, une « route de la soie » qui croise les chemins du piano préparés à la John Cage, faite de traits virtuoses à la Rachmaninov et de mélodies traditionnelles d’Anatolie ou d’Orient. A la tête du groupe Hong Kong Sinfonietta, qui l’accompagne, la mince maestra Yip Wing-Sie est amplement secondée par le pianiste, visiblement au four et au moulin. Mais tout le monde attend évidemment le Concerto pour piano n° 23 de Mozart. La figure quasi tragique de l’artiste archange, tournée vers le public, main droite sur le pupitre abaissé, main gauche à l’oreille, le regard comme happé par le flux de l’introduction orchestrale, est déjà un spectacle. Incarné, contrasté, sur le fil, le Mozart de Say est vivant et expressif. La cadence du premier mouvement s’assortit d’un vol nocturne de mouettes, dont les ventres blancs tournoient dans la lumière des projecteurs – la scénographie participe à la magie du lieu –, encadré par les magnifiques façades baroques de la basilique Saint-Michel-Archange et de la chapelle des Pénitents blancs. La mer eût pu former, au lointain, un paradoxal quatrième mur ouvert sur l’infini. Le chant olympien – quoique sensitif – du célébrissime Adagio semble abolir le temps et l’espace. Le retour au réel est marqué par un Troisième mouvement empli d’une jouissive jubilation. C’est une explosion dynamique et colorée, particulièrement bienvenue après le Mozart gris souris d’une première partie confiée au seul Hong Kong Sinfonietta : une ouverture des Noces de Figaro sans perspective de « folle journée » et une Symphonie n° 41 plus « Flanby » que « Jupiter ».
marie-aude roux
Festival de musique de Menton, parvis de la basilique SaintMichel-Archange. Jusqu’au 13 août. Tél. : 04-92-41-76-95. De 10 € à 52 €. Festival-musique-menton.fr